La veille sur le chemin du retour, le changement intérieur qui s'annonçait depuis un moment s'était définitivement opéré. Les mots de Charcot l'avaient d'abord abattue. Après les événements de ces derniers jours- son père d'abord, puis Louise et Thérèse ensuite-, il ne manquait plus que ce dernier coup pour qu'elle s'effondre entièrement. Désormais, elle n'avait plus d'emprise sur rien. Tout basculait et tombait au même moment, si bien qu'elle se demanda s'il n'était pas temps de cesser ses fonctions au sein de l'hôpital. A mesure qu'elle remontait vers le Panthéon, un autre sentiment s'insinua dans son esprit. Depuis plus de vingt ans, elle avait ceuvré, peiné, passé des nuits blanches à la Salpêtrière ; elle en connaissait chaque couloir, chaque pierre, chaque regard d'aliénée mieux que quiconque, mieux que Charcot même. Et lui avait osé mépriser sa parole. Du haut de son estrade, il avait balayé d'un revers de main le jugement de celle qui l'admirait. Il ne l'entendait pas et ne souhaitait pas l'écouter. D'ailleurs, dans cet hôpital aucun homme ne les écoutait. Elle enrageait silencieusement au fil des pas jusqu'à se sentir révoltée. Oui, ce n'était plus de l'énervement mais de la révolte, la même révolte qu'elle ressentait envers le clergé et ses diacres lorsqu'elle était enfant. On remettait en question sa croyance, son identité, on cherchait à la brimer, à lui imposer une ligne de conduite, un tempérament. Elle pensait avoir trouvé une légitimité au sein de cet hôpital, et voilà qu'elle réalisait qu'elle n'avait comme valeur non point tant celle qu'on voulait bien lui accorder, mais celle qu'avait décidé de lui octroyer une seule personne : le professeur Charcot. Peut-être son sentiment était-il démesuré. Peut-être n'y avait-il pas de raison de s'offenser pour un simple avertissement. Mais elle avait toujours tenu tête à celles et ceux dont elle estimait qu'ils avaient tort. Et Charcot avait, cette fois-ci, tort. C'était décidé : elle allait aider Eugénie. Comme Eugénie l'avait aidée.
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