Sujet 1: Expliquer le texte suivant
<< Je constate d'abord que je passe d'un état à un autre. J'ai chaud ou j'ai froid, je suis gai
ou je suis triste, je travaille ou je ne fais rien, je regarde ce qui m'entoure ou je pense à autre chose.
[...] Mais ce n'est pas assez dire. Le changement est bien plus radical qu'on ne le croirait d'abord.
Je parle en effet de chacun de mes états comme s'il formait un bloc. Je dis bien que je
change, mais le changement m'a l'air de résider dans le passage d'un état à l'état suivant : de
chaque état, pris à part, j'aime à croire qu'il reste ce qu'il est pendant tout le temps qu'il se produit.
Pourtant, un léger effort d'attention me révèlerait qu'il n'y pas d'affection, pas de représentation,
pas de volition qui ne se modifie à tout moment; si un état d'âme cessait de varier, sa durée
cesserait de couler. Prenons le plus stable des états internes, la perception visuelle d'un objet
extérieur immobile. L'objet a beau rester le même, j'ai beau le regarder du même côté, sous le
même angle, au même jour : la vision que j'ai n'en diffère pas moins que celle que je viens d'avoir,
quand ce ne serait que parce qu'elle a vieilli d'un instant. Ma mémoire est là, qui pousse quelque
chose de ce passé dans ce présent. Mon état d'âme, en avançant sur la route du temps, s'enfle
continuellement de la durée qu'il ramasse ; il fait, pour ainsi dire, boule de neige avec lui-même.
À plus forte raison en est-il ainsi des états plus profondément intérieurs, sensations, affections,
désirs, etc. [...] La vérité est qu'on change sans cesse, et que l'état lui-même est déjà du
changement. >>
Bergson, L'évolution Créatrice