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EXTRAIT DE NOUS AUTRES D'EUGENE ZAMIATINE (1920), EDITION GALLIMARD, COLLECTION « L'IMAGINAIRE », PARIS, 1971, PP. 19-20 (Ce passage se situe au début de l'oeuvre. Le récit se présente sous forme de chapitres intitulés chacun « Note » et formant une sorte de journal intime. Le narrateur est un des mathématiciens de l'Etat Unique, le constructeur d'un engin spatial qui doit s'envoler dans l'espace pour « soumettre au joug bienfaisant de la raison tous les êtres inconnus, habitants d'autres planètes, qui se trouvent peut-être encore à l'état sauvage de la liberté », leur apporter « le bonheur mathématique et exact », « les forcer à être heureux ». Il est prévu avant d'employer la force, de convaincre par des écrits à la gloire de l'Etat Unique. Le journal tenu par le narrateur a cette ambition.] Nous sommes au printemps. De derrière le Mur Vert, des plaines sauvages et inconnues, le vent nous apporte le pollen jaune et mielleux des fleurs. Ce pollen sucré vous sèche les lèvres, sur lesquelles il faut passer la langue à chaque instant. Toutes les femmes que l'on rencontre doivent avoir les lèvres sucrées (et les hommes aussi naturellement). Cela trouble un peu la pensée logique. Mais, par contre, quel joli ciel ! Il est bleu, pur du moindre nuage (à quel point les anciens devaient avoir le goût barbare, pour que leurs poètes fussent inspirés par ces volumes vaporeux, informes et niais, se pressant stupidement les uns les autres !). J'aime, et je suis sûr de ne pas me tromper si je dis que nous aimons seulement ce ciel irréprochable et stérile. En des jours comme celui-ci, le monde entier paraît être coulé dans le même verre éternel et impassible que celui du Mur Vert et de tous nos édifices. En des jours comme celui-ci, on aperçoit la profondeur bleue des choses et l'on voit leurs équations stupéfiantes, qui jusque-là vous avaient échappé, même pour les objets les plus familiers et les plus quotidiens. En bas, le boulevard était plein : par ce temps, l'Heure Personnelle qui suit le déjeuner devient généralement l'heure de la promenade complémentaire. Comme d'habitude l'Usine Musicale jouait par tous ses haut-parleurs l'Hymne de l'État Unique. Les numéros, des centaines, des milliers de numéros, en unifs bleuâtres, ayant sur la poitrine une plaque d'or avec le numéro national de chacun et de chacune, marchaient en rangs mesurés, par quatre, en marquant triomphalement le pas. Et moi, ou plutôt nous, nous formions une des innombrables vagues de ce courant puissant. J'avais, à ma gauche, 0-90 (si un de mes ancêtres velus d'il y a mille ans écrivait cela, il l'appellerait probablement de ce mot ridicule « mienne »), à ma droite, deux numéros inconnus, féminin et masculin. Le ciel magnifiquement bleu, les minuscules soleils dans chacune de nos plaques, les visages non obscurcis par la démence des pensées, tout semblait fait d'une seule matière lumineuse et souriante. Le rythme cuivré résonnait : «tra-ta-tam ». Ces « tra-ta-tam », ce sont des marches de bronze resplendissant au soleil, et, à chaque marche, on s'élève toujours plus haut, dans le bleu vertigineux... Brusquement, ainsi que ce matin sur le dock, je compris encore, comme pour la première fois dans ma vie, je compris tout : les rues impeccablement droites, le verre des chaussées tout arrosé de rayons, les divins parallélépipèdes des habitations transparentes, l'harmonie carrée des rangs de numéros gris-bleu. J'eus alors l'impression que ce n'étaient pas des générations entières, mais moi, bel et bien moi, qui avais vaincu le vieux Dieu et la vieille vie, et que c'était moi qui avais construit tout cela, je me sentais comme une tour, et craignais de remuer le coude, de peur que les murs, les coupoles, les machines ne s'écroulassent en miettes... Puis, je fis un bond en arrière par-dessus les siècles. Je me souvins (c'était incontestablement une association d'idées par contraste) d'un tableau dans un musée. Il représentait un boulevard au XXème siècle, bigarré à vous faire tourner la tête, rempli d'une foule de gens, de roues, d'animaux, d'affiches, d'arbres, de couleurs, d'oiseaux... Et l'on dit que cela a vraiment existé ! Cela me parut si invraisemblable, si absurde, que je pus me retenir et éclatai de rire. Questions de préparation

1. Etablir le plan du texte 2. Quelles sont les caractéristiques de la société décrite ? 3. Quelles sont les valeurs fondatrices de cette société ? uelles sont les valeurs qu'elle rejette ? Relever un exemples de correspondance, d'écho, entre chaque élément du monde. 5. Quel est le sentiment de l'énonciateur lorsqu'il raconte cette promenade ? Appuyez-vous sur des éléments précis du texte. 6. Quel regard l'énonciateur porte-t-il sur le passé ? 7. Quelle est la fonction de la référence au passé ? 8. Ne peut-on déjà déceler quelques « failles » inconscientes dans l'adhésion du narrateur à la société à laquelle il appartient ?​

Sagot :

Réponse :question 1 plan du texte

Explications :