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La Troisième à partir du soleil
3ème partie


Elle s’assit. Au moment où elle portait à sa bouche l’ustensile à manger, la sonnette de la porte d’entrée se fit entendre. Ses doigts sans force le laissèrent échapper. Il fit grand bruit en heurtant le sol. Son mari s’empressa de lui prendre la main.
« Ne t’en fais pas, ma chérie, tout va bien. » Il se tourna vers les enfants : « Allez ouvrir.
– Tous les deux ?
– Tous les deux.
– Mais…
– Faites ce que je vous dis. »
Ils quittèrent leur siège et sortirent, non sans avoir lancé un dernier coup d’œil à leurs parents par-dessus leur épaule.
Lorsqu’ils eurent disparu derrière la porte coulissante, il se retourna vers sa femme. Son teint était pâle, ses traits contractés, ses lèvres pincées.
« Ma chérie, je t’en prie. Je t’en supplie. Tu sais très bien que s’il y avait le moindre danger, je ne t’entraînerais pas dans cette aventure. Combien de fois ai-je piloté ce vaisseau ? Et puis, je sais exactement où aller. Alors crois-moi, nous ne risquons rien. »
Elle pressa contre sa joue la main de son époux et ferma les yeux. De grosses larmes jaillirent de ses paupières et roulèrent sur ses joues.
« Ce n’est p-pas t-tellement ça, bredouilla-t-elle. C’est juste le fait de partir pour toujours. On a passé toute notre vie ici. Ce n’est pas comme si… si on déménageait. On ne reviendra plus. Plus jamais.
– Écoute, chérie, répondit-il d’une voix tendue, précipitée. Tu le sais aussi bien que moi, d’ici quelques années, peut-être moins, il y aura de nouveau la guerre ; une guerre terrible. Cette fois il ne restera plus rien. Il faut partir. Pour nos enfants, pour nous-mêmes… »
Il marqua une pause, le temps d’éprouver mentalement les mots qu’il s’apprêtait à prononcer.
« Pour l’avenir de la vie elle-même », acheva-t-il faiblement. Il regrettait déjà d’avoir été si loin. Si tôt le matin, devant ces aliments bien terre à terre, ce genre de propos sonnait faux. Même s’ils ne faisaient que traduire la vérité.
« Écoute, n’aie pas peur. Tout va bien se passer. »
Elle lui étreignit la main. « Je sais, répondit-elle tout bas. Je sais. »
Des pas approchaient. Il lui donna un mouchoir en papier trouvé dans sa poche. Elle se tamponna hâtivement le visage.
La porte coulissante se rouvrit. Les voisins entrèrent, suivis des enfants qui, tout excités, avaient du mal à se contenir.
« Bonjour ! » lança le voisin.
Les deux femmes se saluèrent, puis allèrent s’entretenir à mi-voix devant la fenêtre. Les enfants se dandinaient sur place en échangeant des regards inquiets.
« Vous avez mangé ? demanda-t-il à son voisin.
– Oui. Il serait peut-être temps d’y aller, non ?
– Sans doute. »
Ils laissèrent la table telle quelle. Sa femme remonta chercher des vêtements pour toute la famille.
Tous deux s’attardèrent sur le seuil tandis que les autres s’acheminaient vers le véhicule de surface.
« Faut-il fermer la porte à clef ? » s’enquit-il.
Elle eut un sourire désemparé et se passa la main dans les cheveux. Puis elle haussa les épaules. « Quelle importance ? » Elle se détourna.
Il verrouilla quand même, puis lui emboîta le pas. Au moment où il arrivait à sa hauteur, elle se retourna. « Elle était bien, cette maison, murmura-t-elle.
– N’y pense plus. »
Ils tournèrent le dos à leur foyer et montèrent en voiture.
« Vous avez laissé ouvert ? interrogea le voisin.
– Non. »
L’autre fit un sourire ironique teinté d’amertume. « Nous non plus. J’ai bien essayé, mais quelque chose m’a poussé à revenir sur mes pas. »
Ils empruntèrent une série de rues calmes. À l’horizon, le ciel commençait à rougir. La femme du voisin et les quatre enfants avaient pris place à l’arrière, lui-même, son épouse et le voisin à l’avant.
« Ça va être une belle journée, constata ce dernier.
– Possible, en effet.
– Vous l’avez dit à vos enfants, vous ?
– Bien sûr que non.
– Oh, moi non plus, moi non plus ! Je posais simplement la question.
– Je vois. »
Ils roulèrent quelques instants en silence.
« Est-ce que... vous avez parfois l’impression de vous enfuir en douce ? reprit le voisin.
Il se crispa. « Non. » Il pinça les lèvres. « Pas du tout.
– Il vaut mieux ne pas en parler, hein ? ajouta promptement le voisin.
– Beaucoup mieux », confirma-t-il.





Questionnaire

1. Une périphrase est une figure de style qui consiste à remplacer un mot par un groupe de mots de sens équivalent. Par exemple, « le frère de mon père » serait une périphrase pour « mon oncle », ou bien « le roi de la savane » serait une périphrase pour « le lion ». Trouvez dans l’extrait deux étranges périphrases pour désigner des objets du quotidien.

2. Nous savions depuis l’extrait 2 que la planète était en péril. Une cause est-elle avancée dans l’extrait 3 ?

3. Que pensez-vous de l’attitude du voisin pendant tout l’extrait ? En quoi diffère-t-elle de l’attitude du premier mari ?

4. Comment expliquez-vous les hésitations au sujet de la porte qu’il ne sert à rien de fermer, mais qu’on ferme quand même ?

5. Relevez une notation climatique pour le moins surprenante...


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