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Face au dilemme qui l’habite, Rodrigue suit son devoir et fait le choix de défendre l’honneur de sa famille. Il
part venger son père.
Acte II, scène 2 – Le Comte, Don Rodrigue
La place devant le palais royal.
DON RODRIGUE. – À moi, comte, deux mots.
LE COMTE. – Parle.
DON RODRIGUE. – Ôte-moi d’un doute.
Connais-tu bien don Diègue ?
LE COMTE. – Oui.
DON RODRIGUE. – Parlons bas ; écoute.
Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu1
,
La vaillance et l’honneur de son temps ? Le sais-tu ?
LE COMTE. – Peut-être.
DON RODRIGUE. – Cette ardeur que dans les yeux je porte,
Sais-tu que c’est son sang ? le sais-tu ?
LE COMTE. – Que m’importe ?
DON RODRIGUE. – À quatre pas d’ici je te le fais savoir.
LE COMTE. – Jeune présomptueux2
!
DON RODRIGUE. – Parle sans t’émouvoir3
.
Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées
La valeur n’attend point le nombre des années.
LE COMTE. – Te mesurer à moi ! qui t’a rendu si vain4
,
Toi qu’on n’a jamais vu les armes à la main !
DON RODRIGUE. – Mes pareils à deux fois ne se font point connaître5
,
Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître.
LE COMTE. – Sais-tu bien qui je suis ?
DON RODRIGUE. – Oui ; tout autre que moi
Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d’effroi.
Les palmes6
dont je vois ta tête si couverte
Semblent porter écrit le destin de ma perte.
J’attaque en téméraire7
un bras toujours vainqueur,
Mais j’aurai trop de force, ayant assez de cœur.
À qui venge son père il n’est rien impossible.
Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.
LE COMTE. – Ce grand cœur qui paraît aux discours que tu tiens
Par tes yeux, chaque jour, se découvrait aux miens ;
Et croyant voir en toi l’honneur de la Castille,
Mon âme avec plaisir te destinait ma fille.
Je sais ta passion, et suis ravi de voir
Que tous ses mouvements8
cèdent à ton devoir ;
Qu’ils n’ont point affaibli cette ardeur magnanime9
;
Que ta haute vertu répond à mon estime ;
Et que, voulant pour gendre un cavalier parfait,
Je ne me trompais point au choix que j’avais fait.
Mais je sens que pour toi ma pitié s’intéresse10 ;
J’admire ton courage, et je plains ta jeunesse.
Ne cherche point à faire un coup d’essai fatal ;
Dispense ma valeur d’un combat inégal ;
Trop peu d’honneur pour moi suivrait cette victoire :
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
On te croirait toujours abattu sans effort ;
Et j’aurais seulement le regret de ta mort.
DON RODRIGUE. – D’une indigne pitié ton audace est suivie :
Qui11 m’ose ôter l’honneur craint de m’ôter la vie !
LE COMTE. – Retire-toi d’ici.
DON RODRIGUE. – Marchons sans discourir.
LE COMTE. – Es-tu si las de vivre ?
DON RODRIGUE. – As-tu peur de mourir ?
LE COMTE. – Viens, tu fais ton devoir, et le fils dégénère12
Qui13 survit un moment à l’honneur de son père.
PIERRE CORNEILLE, Le Cid, II, 2, 1660.
1

Sagot :

Réponse :

DON RODRIGUE. – À moi, comte, deux mots.

LE COMTE.  – Parle.

DON RODRIGUE. – Ôte-moi d’un doute.

Connais-tu bien don Diègue ?

LE COMTE. – Oui.

DON RODRIGUE. – Parlons bas ; écoute.

Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu1,

La vaillance et l’honneur de son temps ? Le sais-tu ?

LE COMTE. – Peut-être.    

DON RODRIGUE. – Cette ardeur que dans les yeux je porte,

Sais-tu que c’est son sang ? le sais-tu ?

LE COMTE. – Que m’importe ?

DON RODRIGUE. – À quatre pas d’ici je te le fais savoir.

LE COMTE. – Jeune présomptueux2 !

DON RODRIGUE. – Parle sans t’émouvoir3.

Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées

La valeur n’attend point le nombre des années.

LE COMTE. – Te mesurer à moi ! qui t’a rendu si vain4,

Toi qu’on n’a jamais vu les armes à la main !

DON RODRIGUE. – Mes pareils à deux fois ne se font point connaître5,

Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître.

LE COMTE. – Sais-tu bien qui je suis ?

DON RODRIGUE. – Oui ; tout autre que moi

Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d’effroi.

Les palmes6 dont je vois ta tête si couverte

Semblent porter écrit le destin de ma perte.

J’attaque en téméraire7 un bras toujours vainqueur,

Mais j’aurai trop de force, ayant assez de cœur.

À qui venge son père il n’est rien impossible.

Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.

LE COMTE. – Ce grand cœur qui paraît aux discours que tu tiens

Par tes yeux, chaque jour, se découvrait aux miens ;

Et croyant voir en toi l’honneur de la Castille,

Mon âme avec plaisir te destinait ma fille.

Je sais ta passion, et suis ravi de voir

Que tous ses mouvements8 cèdent à ton devoir ;

Qu’ils n’ont point affaibli cette ardeur magnanime9 ;

Que ta haute vertu répond à mon estime ;

Et que, voulant pour gendre un cavalier parfait,

Je ne me trompais point au choix que j’avais fait.

Mais je sens que pour toi ma pitié s’intéresse10 ;

J’admire ton courage, et je plains ta jeunesse.

Ne cherche point à faire un coup d’essai fatal ;

Dispense ma valeur d’un combat inégal ;

Trop peu d’honneur pour moi suivrait cette victoire :

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

On te croirait toujours abattu sans effort ;

Et j’aurais seulement le regret de ta mort.

DON RODRIGUE. – D’une indigne pitié ton audace est suivie :

Qui11 m’ose ôter l’honneur craint de m’ôter la vie !

LE COMTE. – Retire-toi d’ici.

DON RODRIGUE.     – Marchons sans discourir.

LE COMTE. – Es-tu si las de vivre ?

DON RODRIGUE. – As-tu peur de mourir ?

LE COMTE. – Viens, tu fais ton devoir, et le fils dégénère12

Qui13 survit un moment à l’honneur de son père.

Explications :

La vertu même, le courage incarné.

2. Prétentieux.

3. Sans t’agiter.

4. Arrogant.

5. Les hommes comme moi montrent leur valeur dès la première occasion.

6. Symbole de victoire.

7. Personne qui agit avec audace, jusqu’à l’imprudence.

8. Élans (de la passion).

9. Généreuse, noble.

10. Se préoccupe.

11. Celui qui.

12. Devient.

13. S’il.

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