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Nous avons tous appris à lire et à écrire, mais
nous n'avons jamais appris à voir, n'estimant pas,
à cet égard, qu'une initiation föt nécessaire. Aussi a-t-on constaté que le visiteur ordinaire d'un musées n'arrête pas son regard sur le plus beau tableau du
monde pendant plus de cinq secondes. Et nous
ne prêtons pas plus d'attention aux monuments
célèbres ou aux paysages prestigieux que nous ren-
controns en voyage. Nous ne soupçonnons pas que
10 devant ces objets ou ces spectacles notre regard ait
une habitude à prendre, un art à exercer, un plaisir
à recevoir; et qu'à partir du moment où nous en
comprendrons la nature, la signification et le but,
nous commencerons à les rechercher pour eux-
is mêmes et à les aimer. [...]
Nous nous promenons dans un jardin public et,
au tournant d'une allée, part devant nous un vol de
colombes. C'est un incident sans importance. Mais
il a permis à bien des peintres d'évoquer avec vérité
20 les oiseaux consacrés à Vénus. On nous appelle
pour goûter une collation servie sur un coin de
table. C'est un mince sujet, mais Chardin ou
Matisse en auraient tiré un chef-d'oeuvre. [...]. L'at-
tention infaillible de ces artistes a transformé en
25 spectacle exceptionnel un sujet si banal que nous
ne l'avions pas vu, encore moins regardé et pas
du tout goûté. Pourtant nous vivons comme eux
au milieu de la même nature, du même monde,
auquel ils ont tout emprunté, leur répertoire, leur
po technique, leurs matériaux, leurs couleurs, toutes
les formes des choses combinées de mille façons.
La matière première de l'art est inépuisable. Elle
se rencontre partout Mais il faut ouvrir les yeux et
savoir regarder.


Luc Benoist, Regarde ou Les clefs de l'art (1962) © Hazan.