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Texte 3-Marguerite Yourcenar,
Les Yeux ouverts,
1980.
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J'ai de fortes objections au féminisme tel qu'il se présente aujourd'hui. La plupart du temps, il
est agressif, et ce n'est pas par l'agression qu'on parvient durablement à quelque chose. Ensuite, et
ceci vous paraîtra sans doute paradoxal, il est conformiste, du point de vue de l'établissement social,
en ce sens que la femme semble aspirer à la liberté et au bonheur du bureaucrate qui part chaque
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matin, une serviette sous le bras, ou de l'ouvrier qui pointe dans une usine. Cet homo sapiens des
sociétés bureaucratiques et technocratiques est l'idéal qu'elle semble vouloir imiter sans voir les
frustrations et les dangers qu'il comporte, parce qu'en cela, pareille aux hommes, elle pense en termes
de profit immédiat et de succès individuel. Je crois que l'important pour la femme est de participer le
plus possible à toutes les causes utiles, et d'imposer cette participation par sa compétence. Même en
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plein XIXe siècle, les autorités anglaises se sont montrées brutales et grossières envers Florence
Nightingale à l'hôpital de Scutari : elles n'ont pas pu se passer d'elle. Tout gain obtenu par la femme
dans la cause des droits civiques, de l'urbanisme, de l'environnement, de la protection de l'animal, de
l'enfant et des minorités humaines, toute victoire contre la guerre, contre la monstrueuse exploitation
de la science en faveur de l'avidité et de la violence, est celle de la femme, sinon du féminisme, et ce
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sera celle du féminisme par surcroît. Je crois même la femme peut-être plus à même de se charger de
ce rôle que l'homme, à cause de son contact journalier avec les réalités de la vie, que l'homme ignore
souvent plus qu'elle.
Je trouve aussi regrettable de voir la femme jouer sur les deux tableaux : de voir, par
exemple, des revues, pour se conformer à la mode (car les opinions sont aussi des modes) qui
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publient des articles féministes supposés incendiaires, tout en offrant à leurs lectrices, qui les
feuillettent distraitement chez le coiffeur, le même nombre de photographies de jolies filles, ou plutôt
de filles qui seraient jolies si elles n'incarnaient trop évidemment des modèles publicitaires ; la
curieuse psychologie commerciale de notre temps impose ces expressions boudeuses, prétendument
séduisantes, aguicheuses ou sensuelles, à moins qu'elles ne frôlent même l'érotisme de la demi
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nudité, si l'occasion s'en présente.
Que les féministes acceptent ce peuple de femmes-objets m'étonne. Je m'étonne aussi
qu'elles continuent de se livrer de façon grégaire à la mode comme si la mode se confondait avec
l'élégance, et que des millions d'entre elles acceptent, dans une inconscience complète, le supplice de
tous ces animaux martyrisés pour essayer sur eux des produits cosmétiques, quand ils n'agonisent pas
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dans des pièges, ou assommés sur la glace, pour assurer à ces mêmes femmes des parures sanglantes.
Qu'elles les acquièrent avec de l'argent librement gagné par elle dans une ''carrière'' ou offert par un
mari ou un amant ne change rien au problème. Aux États-Unis, je crois que le jour où la femme aura
réussi à interdire qu'un portrait de jeune fille qui fume d'un petit air de défi pousse le lecteur de
magazines à s'acheter des cigarettes que trois lignes presque invisibles au bas de la page déclarent
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nocives et cancérigènes, la cause des femmes aura fait un grand pas.
Enfin, les femmes qui disent ''les hommes'' et les hommes qui disent ''les femmes'',
généralement pour s'en plaindre dans un groupe comme dans l'autre, m'inspirent un immense ennui,
comme tous ceux qui ânonnent toutes les formules conventionnelles. Il y a des vertus spécifiquement
''féminines'' que les féministes font mine de dédaigner, ce qui ne signifie pas d'ailleurs qu'elles aient
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été jamais l'apanage de toutes les femmes : la douceur, la bonté, la finesse, la délicatesse, vertus si
importantes qu'un homme qui n'en posséderait pas au moins une petite part serait une brute et non un
homme. Il y a des vertus dites ''masculines'', ce qui ne signifie pas plus que tous les hommes les
possèdent : le courage, l'endurance, l'énergie physique, la maîtrise de soi, et la femme qui n'en détient
pas au moins une partie n'est qu'un chiffon, pour ne pas dire une chiffe. J'aimerais que ces vertus
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complémentaires servent également au bien de tous. Mais supprimer les différences qui existent
entre les sexes, si variables et si fluides que ces différences sociales et psychologiques puissent être,
me paraît déplorable comme tout ce qui pousse le genre humain, de notre temps, vers une morne
uniformité.

Sagot :

Réponse :

Bonjour,

Texte 3-Marguerite Yourcenar, Les Yeux ouverts, 1980.

Je suis fortement opposée au féminisme tel qu'il se présente aujourd'hui. Il est souvent agressif, tout en étant paradoxalement, socialement conformiste. La femme semble aspirer à la liberté et au bonheur du bureaucrate ou de l'ouvrier, qu'elle semble vouloir imiter sans voir les frustrations et les dangers que cela comporte. Elle pense que, pareille aux hommes, elle le sera aussi en termes de profit immédiat et de succès individuel. Je crois que l'important pour la femme est de participer le plus possible à toutes les causes utiles, et d'imposer cette participation par sa compétence car la société ne peut se passer d'elle, malgré les brutalités et les grossièretés.

Je m'étonne aussi qu'elles continuent de se livrer collectivement à une mode qui est confondue avec élégance, et que la plupart acceptent sans culpabilité les supplices des animaux pour des produits cosmétiques ou des parures sanglantes.

Enfin, toutes les formules conventionnelles, reprises par les hommes, comme par les femmes, m'ennuient. Il y a des vertus spécifiquement ''féminines'', et des vertus dites ''masculines''. J'aimerais que ces vertus complémentaires servent également au bien de tous. Mais supprimer les différences qui existent entre les sexes me paraît déplorable comme tout ce qui pousse le genre humain, de notre temps, vers une morne uniformité.

En espérant t'avoir aidé,

Explications :

Pour plus d'illustrations, regarde donc https://nosdevoirs.fr/devoir/2321745