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A. Texte littéraire.
René Frégni est un écrivain né en 1947. Dans Je me souviens de tous vos rêves, il
dépeint les paysages contemplés, les personnes rencontrées et les petites aventures
vécues au fil de ses promenades en Provence.
DÉCEMBRE
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Quand le soleil disparaît derrière les collines, je rebrousse chemin. Enfant je
regardais par la fenêtre de notre cuisine s'éteindre le dernier rayon. J'étais persuadé
que le soleil se couchait juste derrière l'école de filles. Je trouvais ça normal qu'il ait
choisi les filles, ce lieu me semblait magique et protecteur. Chez les garçons, de l'autre
côté du quartier, il fallait se battre tous les jours et ne jamais pleurer. On remontait en
classe avec le goût du sang dans le nez et la bouche, et il fallait répéter après le maître
la petite chanson des voyelles et des consonnes.
Maintenant j'ai hâte d'arriver chez moi, de retrouver mon cahier, d'allumer ma
petite lampe jaune. Je suis ivre de ce vent de rivière, de ce bruit d'eau.
Ecrire quelques mots chaque jour. Des petits fragments de vie qu'on ramène
chez soi, dans ses yeux, sur sa peau, ses cheveux, dans la lourdeur des jambes. Les
odeurs d'automne qui se dispersent lorsqu'on retire sa veste. Les mots attisent,
comme un souffle puissant, les braises de la vie. Ils la font rougeoyer, brasiller,
s'étendre. Ils éclairent nos jours.
Ecrire c'est souffler sur tout ce qui est vivant, c'est embraser le moindre signe
de vie, entendre, dans le silence, la voix secrète des choses. Inventer un visage à tout
ce qu'on ne voit pas.
Devant mon cahier ouvert je revois tout, les saules rouges, les moulins et les
ponts, les îles nettoyées comme des os par les courants, le soleil et le vent, le chien
fou de bonheur qui se jette dans l'eau froide et en ressort plus libre. C'est toute mon
enfance que je retrouve en écartant les roseaux à la pointe de mon stylo, sous le cercle
jaune de ma lampe.
Prenez un stylo, dessinez le mot roseau, les yeux presque fermés, en respirant
à peine, vous verrez apparaître toutes les rivières que vous avez connues et celles
que vous n'avez jamais vues. Vous sentirez rouler dans votre corps les torrents glacés
des montagnes et l'eau paisible de l'été qui glisse sous les noisetiers, dans une odeur
tiède de melon.
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JANVIER
En trois nuits l'hiver a cadenassé la ville, vitrifié les champs, brûlé mes roses.
La fumée semble geler d'un coup en sortant des cheminées, dans un ciel limpide où
les cloches tintent comme une lame de couteau sur une coupe de cristal. [...]
J'ai essayé d'écrire, il n'y avait rien sur mon cahier, le mot janvier était blanc,
comme la campagne, le silence de ma chambre, la page, chaque mot était blanc.
René FREGNI, Je me souviens de tous vos rêves, 2016
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