Quel figure de style est employé dans ce texte ?
L'ordre marchand se resserrait, imposait son rythme haletant. Les achats munis d'un code-barres
passaient avec une célérité¹ accrue du plateau roulant au chariot dans un bip discret escamotant² le coût de
la transaction en une seconde. Les articles de la rentrée scolaire surgissaient dans les rayons avant que les
enfants ne soient encore en vacances, les jouets de Noël le lendemain de la Toussaint et les maillots de bain
en février. Le temps des choses nous aspirait et nous obligeait à vivre sans arrêt avec deux mois d'avance..
Les gens accouraient aux « ouvertures exceptionnelles » du dimanche, les soirs jusqu'à onze heures, le
premier jour des soldes constituait un événement couvert par les médias. « Faire des affaires », « profiter des
promotions » était un principe indiscuté, une obligation. [...]
Pour les adolescents
sociale la valeur personnelle était conférée par les marques vestimentaires, L'Oréal parce que je le vaux
- surtout ceux qui ne pouvaient compter sur aucun autre moyen de distinction
bien. Et nous, contempteurs sourcilleux de la société de consommation, on cédait au désir d'une paire de
bottes qui, comme jadis la première paire de lunettes solaires, plus tard une minijupe, des pattes d'ef,
donnait l'illusion brève d'un être neuf. Plus que la possession, c'était cela, cette sensation que les gens
15 poursuivaient dans les gondoles de Zara et de H&M et que leur procurait immédiatement, sans effort,
l'acquisition des choses : un supplément d'être.[...]
L'imagination commerciale était sans bornes. Elle annexait à son profit tous les langages, écologique,
psychologique, se parait d'humanisme et de justice sociale, nous enjoignait de « lutter tous ensemble
contre la vie chère », prescrivait : « faites-vous plaisir », « faites des affaires ». Elle ordonnait la
célébration des fêtes traditionnelles, Noël et la Saint-Valentin, accompagnait le ramadan. Elle était une
morale, une philosophie, la forme incontestée de nos existences. La vie. La vraie. Auchan.
C'était une dictature douce et heureuse contre laquelle on ne s'insurgeait pas, il fallait seulement se protéger
de ses excès, éduquer le consommateur, définition première de l'individu. Pour tout le monde, y compris les
immigrants clandestins entassés sur une barque vers la côte espagnole, la liberté avait pour visage un centre
commercial,
des
l'abondance.
hypermarchés
croulant
sous
ANNIE ERNAUX, Les Années, Ⓒ Éditions Gallimard, 2008.