Dossier documentaire :
Hobbes
Il est vrai que, hors de la société civile, chacun jouit d'une liberté très entière, mais qui est
infructueuse, parce que, comme elle donne le privilège de faire tout ce qu'on bon nous semble, aussi
laisse-t-elle aux autres la puissance de nous faire souffrir tout ce qu'il leur plait. Mais dans le
gouvernement d'un État bien établi, chaque particulier ne se réserve qu'autant de liberté qu'il lui en
faut pour vivre commodément, et en une parfaite tranquillité, comme on n'en ôte aux autres que ce
dont ils seraient à craindre.
Hors de la société, chacun a tellement droit sur toutes choses qu'il ne s'en peut prévaloir et n'a la possession
d'aucune; mais dans la république chacun jouit paisiblement de son droit particulier.
Hors de la société civile, ce n'est qu'un continuel brigande, et l'on est exposé à la violence de tous ceux qui
voudront nous ôter les biens et la vie ; mais dans l'État, cette puissance n'appartient qu'à un seul. Hors du commerce
des hommes, nous n'avons que nos propres forces qui nous servent de protection, mais dans une ville, nous recevons
le secours de tous nos concitoyens.
Hors de la société, l'adresse et l'industrie sont de nul fruit : mais dans un État, rien ne manque à ceux qui s'évertuent.
Enfin, hors de la société civile, les passions règnent, la guerre est éternelle, la pauvreté est insurmontable, la crainte
ne nous abandonne jamais, les horreurs de la solitude nous persécutent, la misère nous accable, la barbarie,
l'ignorance et la brutalité nous ôtent toutes les douceurs de la vie ; mais, dans l'ordre du gouvernement, la raison
exerce son empire, la paix revient au monde, la sûreté publique est rétablie, les richesses abondent, on goûte les
charmes de la conversation, on voit ressusciter les arts, fleurir les sciences; la bienséance est rendue à toutes nos
actions et nous ne vivons plus ignorants des lois de l'amitié.
Hobes, Du citoyen, 1642
Analyse du doc 1 sur HOBBES