En 1942, le narrateur est prisonnier de guerre en Allemagne.
Thomas mon fils,
Tu ne dois pas en douter, un jour, je reviendrai, un jour nous nous retrouverons. Je pense souvent à cet instant magique, je l'imagine, je le savoure chaque soir avant de m'endormir. Avec bonheur, avec angoisse. Ne vais-je pas me trouver devant une sorte de trou immense, que je ne saurai comment combler? Tant de jours, de mois, d'années passées loin de vous pendant lesquels, vous les enfants aurez grandi, nous les adultes, aurons vieilli. Tout ce temps que vous aurez vécu et dont je ne saurai rien. Cela m'effraie, même si je sais que notre af- fection viendra à bout de ce vide.
Alors je voudrais que tu m'aides, mon Tom. Je sais que tu aimes écrire, que tu es bon en français comme on dit (mais attention, ne néglige pas pour autant les maths !), alors prends ta plume et lorsque tu as envie, raconte-moi tout: tes disputes avec ta sœur, tes discussions avec tes copains. Dis- moi ce que vous mangez, comment vous supportez vos difficultés, raconte-moi votre quotidien, même s'il est morose ou triste.
Je ne te demande pas d'emboucher une trom- pette, mais de me jouer doucement la petite musique de vos journées. De mon côté, j'en ferai autant. Je vous raconterai le stalag¹ au jour le jour, notre existence d'enfermés, le courage des uns, la veulerie² des autres.
Ainsi lorsque nous nous retrouverons, tu me tendras la main à travers ton journal. Et je te rendrai la main avec le mien. Tu veux bien?
Yvon Mauffret, Mon journal de guerre, Rageot. - Cascade, 1996. 1. Nom donne pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) aux camps alemands où etaient enfermés les prisonniers de guerre 2. Faiblesse, lichete