Texte : L'invention de l'art de communiquer nos idées dépend moins des organes qui nous servent à
cette communication, que d'une faculté propre à l'homme, qui lui fait employer ses organes à cet usage,
et qui, si ceux-là lui manquaient, lui en ferait employer d'autres à la même fin. Donnez à l'homme une
organisation tout aussi grossière qu'il vous plaira: sans doute il acquerra moins d'idées ; mais pourvu
seulement qu'il y ait entre lui et ses semblables quelque moyen de communication par lequel l'un puisse
agir et l'autre sentir ils parviendront à se communiquer enfin tout autant d'idées qu'ils en auront.
Les animaux ont pour cette communication une organisation plus que suffisante, et jamais aucun d'eux
n'en a fait cet usage. Voilà ce me semble, une différence bien caractéristique. Ceux d'entre eux qui
travaillent et vivent en commun, les castors, les fourmis, les abeilles, ont quelque langue naturelle pour
s'entre-communiquer, je n'en fais aucun doute. Il y a même lieu de croire que la langue des castors et
celle des fourmis sont dans le geste et parlent seulement aux yeux. Quoi qu'il en soit, par cela même que
les unes et les autres de ces langues sont naturelles, elles ne sont pas acquises ; les animaux qui les
parlent les ont en naissant: ils les ont tous, et partout la même ; ils n'en changent point, ils n'y font pas le
moindre progrès. La langue de convention n'appartient qu'à l'homme. Voilà pourquoi l'homme fait des
progrès, soit en bien soit en mal, et pourquoi les animaux n'en font point.
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Essai sur l'origine des langues
Question : De quelle manière l'analyse de la faculté du langage permet-elle à Rousseau de distinguer
l'homme de l'animal ?