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le texte :
Lors de la II° République, Victor Hugo, élu député en juin 1848, est chargé de réprimer les émeutes
ouvrières. Mais il prend conscience alors de la souffrance et de la misère du peuple parisien. Il prononce ce
discours à l'Assemblée Nationale, le 9 juillet 1849. Il s'agit de préparer des lois en faveur de l'Assistance
publique
Je ne suis pas, Messieurs, de ceux qui croient qu'on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la
souffrance est une loi divine; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la misère.
Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. Les
législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse; car, en pareille matière, tant que le possible n'est
pas fait, le devoir n'est pas rempli. (83)
La misère, messieurs, j'aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir jusqu'où elle est, la misère
? [...] Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l'émeute soulevait naguère si aisément, il
y a des rues, des maisons, des cloaques', où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes,
femmes, jeunes filles, enfants, n'ayant pour lits, n'ayant pour couvertures, j'ai presque dit pour vêtement, que
des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange² du coin des bornes, espèce de
fumier des villes, où des créatures s'enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l'hiver. (111)
Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? [...] Le mois passé, pendant la
recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les
débris immondes et pestilentiels des charniers³ de Montfaucon ! (39)
Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit
dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses
ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière
; que je m'en sens, moi qui parle, complice et solidaire, et que de tels faits ne sont pas seulement des torts
envers l'homme, que ce sont des crimes envers Dieu ! (93)
Voilà pourquoi je suis pénétré, voilà pourquoi je voudrais pénétrer tous ceux qui m'écoutent de la
haute importance de la proposition qui vous est soumise. Ce n'est qu'un premier pas, mais il est décisif. Je
voudrais que cette assemblée, majorité et minorité, n'importe, je ne connais pas, moi, de majorité et de
minorité en de telles questions ; je voudrais que cette assemblée n'eût qu'une seule âme pour marcher à ce
grand but magnifique, à ce but sublime, l'abolition de la misère ! [...] (88)
Vous n'avez rien fait, j'insiste sur ce point, tant que l'ordre matériel raffermi n'a point pour base
l'ordre moral consolidé ! Vous n'avez rien fait tant que le peuple souffre ! Vous n'avez rien fait tant qu'il y a
au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère ! Vous n'avez rien fait, tant que ceux qui sont dans la
force de l'âge et qui travaillent peuvent être sans pain! tant que ceux qui sont vieux et qui ont travaillé
peuvent être sans asile ! tant que l'usure dévore nos campagnes, tant qu'on meurt de faim dans nos villes, tant
qu'il n'y a pas des lois fraternelles, des lois évangéliques qui viennent de toutes parts en aide aux pauvres
familles honnêtes, aux bons paysans, aux bons ouvriers, aux gens de cœur ! Vous n'avez rien fait, tant que
l'esprit de révolution a pour auxiliaire la souffrance publique ! vous n'avez rien fait, rien fait, tant que dans
cette œuvre de destruction et de ténèbres, qui se continue souterrainement, l'homme méchant a pour
collaborateur fatal l'homme malheureux. ! (189)
Vous le voyez, messieurs, je le répète en terminant, ce n'est pas seulement à votre générosité que je
m'adresse, c'est à votre sagesse, et je vous conjure d'y réfléchir. Messieurs, songez-y, c'est l'anarchie qui
ouvre les abîmes, mais c'est la misère qui les creuse. Vous avez fait des lois contre l'anarchie, faites
maintenant des lois contre la misère ! (67)
(670 mots)
Victor Hugo, Discours sur la misère, 1849.