Je décida d'aborder le sujet dès le retour de ma mère. Elle revenait toujours du marché d'excellente
humeur, après avoir régné pendant deux heures sur les étalages et exercé son autorité sur les marchands. Je
m'habillai avec soin, me fis couper les cheveux, nouai une très belle cravate en soie bleu marine brodée de
mousquetaires d'argent, que le peintre m'avait offerte, achetai un bouquet de roses rouges-des «veloutées
5 d'aurores-et, vers dix heures et demie, le lendemain, fattendais dans le vestibule, en proie à une nervosité que seul
M. Zaremba, qui se morfondait là-haut dans sa chambre au septième, était capable de comprendre. Je savais fort
bien que notre prétendant aux moustaches tombantes recherchait plus une mère qu'une épouse, mais c'était un
homme d'une grande gentillesse, qui traiterait ma mère avec plus de déférence que la vie ne lui en avait témoigné
jusqu'ici. Certes, on pouvait avoir des doutes sur son talent de peintre, mais après tout, un seul authentique créateur
10 dans la famille suffirait amplement
Ma mère me trouva dans le salon, maladroitement armé de mon bouquet de fleurs que je tenais sous le bras.
Je le lui tendis en silence: j'avais la gorge nouée. Elle enfouit son visage dans les rosés, puis me jeta un regard de
reproche.
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Je lui fis signe de s'asseoir. Elle prit place sur le petit sofa légèrement râpé de l'entrée.
Écoute, dis-je.
Mais il n'était pas facile de trouver les mots.
-Je... Heu... C'est un homme très bien, murmurai-je.
Cela suffit. Elle comprit immédiatement. Saisissant le bouquet, elle le lança à travers le vestibule d'un geste
large, méprisant et definitif. Il alla cogner contre un vase qui tomba en miettes sur le sol, avec un sens aigu du
drame. Lina, la femme de chambre italienne, entra précipitamment et, voyant l'expression sur le visage de ma mère,
sortit tout aussi vite.
Mais enfin, quoi! gueulai-je. Il possède une superbe propriété en Floride!
Elle pleurait. J'essayai de rester calme mais, comme toujours entre nous, son émotion me gagnait et
rejaillissait à son tour sur elle, montant d'un cran à chaque aller-retour, selon la meilleure tradition des scènes
d'amour. Je voulais lui crier que c'était sa dernière chance, qu'elle avait besoin d'un homme à ses côtés, que je ne
pouvais être cet homme parce que, tot ou tard, je partirais, la laissant seule. Je voulais lui dire surtout qu'il n'y avait
rien que mon amour ne put accomplir pour elle, sauf une chose, sauf renoncer à ma vie d'homme, à mon droit d'en
30 disposer comme je l'entendrai.
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Il ne fallait pas!
-J'ai à te parler.
[1] Le prétendant» est aussi M Zaremba, le peintre, qui veut demander en mariage la mère du héros.
Grammaire
Lecture
Romain Gary La Promesse de l'aube, 1960
Première partie: Questions de grammaire - Réécriture
1. Dans le premier §, soulignez en vert un groupe circonstanciel de concession. Encadrez les mots qui expriment le sens
circonstanciel. (2 pts)
2. Dans le dernier §, soulignez en bleu deux propositions coordonnées, soulignez en rouge une proposition subordonnée,
et encadrez les mots indiquant la coordination et la subordination. (2 pts)
3. Réécrivez le passage de la L2 Je m'habillai avec... à la 14 de roses rouges en remplaçant la LP Sg par une IP
pl (masculine) et en mettant au pluriel tous les objets manipulés par le narrateur (4 pts)