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Quand je songe aujourd'hui à ma petite vie douillette de 1942, elle me paraît irréelle. Cette vie de rêve était le lot d'une Anne Frank toute différente de celle qui a mûri ici. Oui, une vie de rêve, voilà ce que c'était. Dans chaque recoin cinq admirateurs, une bonne vingtaine d'amies et de copines, la chouchoute de la plupart des profs, gâtée par Papa et Maman, bonbons à foison, assez d'argent, que désirer de plus ? [...] Tant d'admiration ne m'aurait-elle pas rendue arrogante? C'est une chance qu'au milieu, au point culminant de la fête, j'aie été soudain ramenée à la réalité, et il m'a fallu plus d'un an pour m'habituer à ne plus recevoir de nulle part de marques d'admiration. Comment me voyaient-ils à l'école? Celle qui prenait l'initiative des farces et des blagues, toujours partante, jamais de mauvaise humeur ou pleurnicharde. Quoi d'étonnant si tout le monde voulait m'accompagner à vélo ou me témoigner de petites attentions? Aujourd'hui je regarde cette Anne Frank comme une fille sympathique, amusante, mais superficielle, qui n'a rien à voir avec moi. [...] Malgré tout, en 1942, je n'étais absolument pas heureuse, c'est impossible, je me sentais souvent abandonnée, mais comme j'étais occupée du matin au soir, je ne réfléchissais pas et je m'amusais autant que je pouvais. [...] La première moitié de 1943, mes crises de larmes, la solitude, la lente prise de conscience de tous mes torts et de tous mes défauts [...]. Apres le Nouvel An, deuxieme grand changement, mon réve... c'est ainsi que j'ai découvert mon besoin d'un garçon; pas d'une amie fille, mais d'un ami garçon. Découvert aussi le bonheur en moi et ma cuirasse de superficialité et de gaieté. Mais de temps à autre je retombais dans le silence. A présent je ne vis plus que pour Peter, car c'est de lui que dépendra pour une large part ce qu'il adviendra désormais de moi ! Et le soir, lorsque je suis couchée et que je termine ma priere par ces mots : me sens emplie d'une jubilation intérieure, je pense à ce qui est bon - dans la clandestinité, dans ma santé, dans tout mon étre, à - ce qui est aimable- en Peter [...]. Alors, je ne pense pas a toute la détresse, mais à la beauté qui subsiste encore. C'est là que reside pour une grande part la Je te remercie pour tout ce qui est bon, aimable et beau -, alors je difference entre Maman et moi [...], car que doit-on faire quand on connait soi-même la détresse? On est perdu. En revanche, je trouve que dans n'importe quel chagrin, il subsiste quelque chose de beau, si on le regarde, on est frappé par la présence d'une joie de plus en plus forte et l'on retrouve soi-mane son équilibre. Et qui est heureux rendra les autres heureux aussi, qui a courage et confiance ne se laissera jamais sombrer dans la détresse.



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