Décrivez la promenade du Baron de Sigognac à la nuit tombée dans le sinistre
jardin du château. Vous conserverez l’atmosphère du texte de Théophile
Gautier. Vous préciserez les éléments du paysage qui contribuent à cette
atmosphère.
Texte :
Pendant ce temps la nuit s’était faite, et de grandes ombres s’entassaient
dans les recoins de la cuisine, comme des chauves-souris qui s’accrochent aux
angles des murailles par les doigts de leurs ailes membraneuses. Un reste de feu,
qu’avivait la rafale engouffrée dans la cheminée, colorait de reflets bizarres le
groupe réuni autour de la table avec une sorte d’intimité triste qui faisait ressortir
encore la mélancolique solitude du château. D’une famille jadis puissante et riche il
ne restait qu’un rejeton1 isolé, errant comme une ombre dans ce manoir peuplé par
ses aïeux ; d’une livrée2 nombreuse il n’existait plus qu’un seul domestique,
serviteur par dévouement, qui ne pouvait être remplacé ; d’une meute de trente
chiens courants il ne survivait qu’un chien unique, presque aveugle et tout gris de
vieillesse, et un chat noir servait d’âme au logis désert.
Le Baron fit signe à Pierre qu’il voulait se retirer. Pierre, se baissant au foyer,
alluma un éclat de bois de pin enduit de résine, sorte de chandelle économique
qu’emploient les pauvres paysans, et se mit à précéder le jeune seigneur ; Miraut
et Béelzébuth3 se joignirent au cortège : la lueur fumeuse de la torche faisait vaciller
sur les murailles de l’escalier les fresques4 pâlies et donnait une apparence de vie
aux portraits enfumés de la salle à manger dont les yeux noirs et fixes semblaient
lancer un regard de pitié douloureuse sur leur descendant.
Arrivé à la chambre à coucher fantastique [...], le vieux serviteur alluma une
petite lampe de cuivre à un bec dont la mèche se repliait dans l’huile comme un
ténia dans l’esprit-de-vin à la montre d’un apothicaire5, et se retira suivi de Miraut.
Béelzébuth, qui jouissait de ses grandes entrées, s’installa sur un des fauteuils. Le
Baron s’affaissa sur l’autre, accablé par la solitude, le désœuvrement et l’ennui.
Si la chambre avait l’air d’une chambre à revenants pendant le jour, c’était
encore bien pis le soir à la clarté douteuse de la lampe. La tapisserie prenait des
tons livides, et le chasseur6, sur un fond de verdure sombre, devenait, ainsi éclairé,
un être presque réel. Il ressemblait, avec son arquebuse en joue, à un assassin
guettant sa victime, et ses lèvres rouges ressortaient plus étrangement encore sur
son visage pâle. On eût dit une bouche de vampire empourprée de sang.
La lampe saisie par l’atmosphère humide grésillait et jetait des lueurs
intermittentes, le vent poussait des soupirs d’orgue à travers les couloirs, et des
bruits effrayants et singuliers se faisaient entendre dans les chambres désertes.
Théophile Gautier, Le Capitaine Fracasse, 1863