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EXTRAIT 3
«Un souvenir qui me fait frémir encore »
Jean-Jacques Rousseau raconte une mésaventure qui lui est survenu alors qu'il était agé d'une quinzaine d'années. Il avait été mis en apprentis sage chez un graveur, qui nourrissait très mal ses apprentis.
Un souvenir qui me fait frémir encore et rire tout à la fois, est celui d'une chasse aux pommes qui me coûta cher. Ces pommes étaient au fond d'une dépense qui, par une jalousie? élevée recevait du jour de la cuisine. Un jour que j'étais seul dans la maison, je montai sur la maie pour regarder dans le s jardin des Hespérides ce précieux fruit dont je ne pouvais approcher. J'allai chercher la broche pour voir si elle pourrait y atteindre: elle était trop courte. Je l'allongeai par une autre petite broche qui servait pour le menu. gibier; car mon maître aimait la chasse. Je piguai plusieurs fois sans succès; enfin je sentis avec transport que j'amenais une pomme. Je tirai très douce 10 ment: déjà la pomme touchait à la jalousie: j'étais prêt à la saisir. Qui dira ma douleur? La pomme était trop grosse, elle ne put passer par le trou. Que d'inventions ne mis-je point en usage pour la tirer ! Il fallut trouver des supports pour tenir la broche en état, un couteau assez long pour fendre la pomme, une latte pour la soutenir. À force d'adresse et de temps je parvins 15 à la partager, espérant tirer ensuite les pièces l'une après l'autre; mais à peine furent-elles séparées, qu'elles tombèrent toutes deux dans la dépense.
Lecteur pitoyable, partagez mon affliction.
Je ne perdis point courage; mais j'avais perdu beaucoup de temps. Je craignais d'être surpris; je renvoie au lendemain une tentative plus heureuse, 20 et je me remets à l'ouvrage tout aussi tranquillement que si je n'avais rien fait, sans songer aux deux témoins indiscrets qui déposaient contre moi dans la dépense.
Le lendemain, retrouvant l'occasion belle, je tente un nouvel essai. Je monte sur mes tréteaux, j'allonge la broche, je l'ajuste; j'étais prêt à 25 piquer... Malheureusement le dragon ne dormait pas; tout à coup la porte de la dépense s'ouvre: mon maître en sort, croise les bras, me regarde et me dit: Courage!... La plume me tombe des mains.
Bientôt, à force d'essuyer de mauvais traitements, y devins moins sen-sible; ils me parurent enfin une sorte de compensation du vol, qui me met-30 tait en droit de le continuer. Au lieu de retourner les yeux en arrière et de regarder la punition, je les portais en avant et je regardais la vengeance. Je jugeais que me battre comme fripon, c'était m'autoriser à l'être. Je trouvais que voler et être battu allaient ensemble, et constituaient en quelque sorte un état, et qu'en remplissant la partie de cet état qui dépendait de moi, je 35 pouvais laisser le soin de l'autre à mon maître. Sur cette idée je me mis à voler plus tranquillement qu'auparavant. Je me disais : Qu'en arrivera-t-il enfin? Je serai battu. Soit: je suis fait pour l'être.
Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions (1782), première partie, livre I.

Bonjour Merci Bien Vouloir Maider Pour Les Questions De Compréhensions EXTRAIT 3 Un Souvenir Qui Me Fait Frémir Encore JeanJacques Rousseau Raconte Une Mésavent class=